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rootsetchemins
17 novembre 2016

Mon Everest s'appelle Khanda La

La nuit n'en finissait pas : je me suis réveillée toutes les 15 mn, l'inconfort de la literie qui n'en était pas une, la peur de ne pas y arriver demain, l'altitude et le casque à boulons qui me guette sans cesse...

Dès le début de l'aurore, j'ai quitté mon duvet, bravé le froid pour me changer et rejoindre la pièce commune. Mon appétit est resté aux abonnés absents, ça ne lui ressemble guère. J'attrape la tasse de thè tiède qu'on me tend, je n'ai pas soif non plus. Pourtant, je dois prendre quelques forces et surtout m'hydrater pour affronter cette journée, la plus longue et le plus rude de cette petite aventure. J'ingurgite le contenu de mon assiette en plastique dont les bords n'ont pas dû voir une éponge qui gratouille depuis...  leur fabrication. C'est fou comme on peut s'habituer assez facilement à ce genre de détails. En quelques jours, dans des conditions de vie aux antipodes de son quotidien, on en revient vite à l'essentiel et l'hygène, la traque aux microbes et autres bactéries sont relayées dans les abîmes des premières préoccupations. De toutes façons, le froid et la sécheresse du climat ne doivent guère aider à leur subsistance. Enfin, j'espère.

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J'ai hâte de me mettre en marche. Se peut-il que les ondes telluriques de Yurutse me soient néfastes? De tout ce trek, cette halte restera comme le moment le plus difficile à gérer pour moi, une sorte de mélancolie m'a agrippée et l'absurdité d'une telle escapade himalayenne m'est revenue en pleine face : Compostelle aurait tout aussi bien fait l'affaire, pensai-je. J'ai trouvé l'endroit glauque malgré la gentillesse et le sourire de l'homme qui avait préparé le petit déjeuner :  chapati et omelette huileuse.

 

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Heureusement, j'avais tord. Il m'a fallu 5H30 de petits pas, de pouls prêt à exploser mes veines et  ma tête, et surtout de quête incessante d'oxygène pour  découvrir enfin ce qui m'avait  incité à venir là. L'ascension démarra en douceur et très vite, j'ai pensé - je le pouvais encore à ce moment-là!!! - que tout était question de mental. A aucun moment, l'envie ou l'idée de faire demi-tour ne m'a effleuré l'esprit. Cette option-là n'existait pas. Le souffle était court, je dirai même ras. La migraine est en embuscade et je me force à boire car j'ai remarqué que chaque gorgée agit comme un anti-céphalée. pourtant l'eau de mon camel-back a un goût étrange de gras et de poussière. Mon estomac commence à me faire savoir qu'il est bien présent. Ca y est le mal des montagnes m'a finalement rattrapé : je me suis mise à parler à mes intestins. Ce n'était ni le moment, ni le lieu pour avoir une bonne tourista. J'ai négocié : foutez-moi la paix 36H, après, vous ferez ce que vous voudrez. J'aurai dû faire avocate : aussi étrange que cela puisse paraître, ils ont obéi, ... et se sont rappelés à mon bon souvenir le lendemain soir. Timing respecté!

Très rapidement, je sens la différence avec Stanzin. il a beau me dire "slowly, slowly" je fais des pas de tortue (ça fonctionne aussi avec tordue ou bien encore torture), je souffle comme un boeuf. On poursuit la remontée d'une immense rivière , des aigles tournent au dessus de nous. on croise des marmottes, des lièvres, d'autres oiseaux....

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Une heure et demie après notre départ, je mets des gants et mon bonnet, je pense qu'on a bien dépassé les 4500 m. Le vent est transperçant. On croise quelques yacks. L'ascension est jolie, le panorama se fait à chaque pas plus grandiose sur le Stok Kangri (plus de 6000 m), et les montagnes en arrière plan qui enserrent la vallé de la Nubra.

 

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Quelle chance j'ai d'être là, d'admirer un petit bout de la plus impressionnante chaîne de montagnes au monde. On ne rencontrera personne, mis à part ces yacks dont j'envie l'épais lainage quand les bourrasques du vent se font un peu plus insistantes. A quelques mètres, c'est plutôt impressionnant ces grosses bêtes.

 

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Je m'arrête tous les 3 pas tandis que Stanzin me fait penser à un jeune chiot : il monte en cavalant, revient à mon niveau en cavalant, puis repart en cavalant... tout cela ponctué de "slowly, slowly".

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Si je n'avas pas commencé à utiliser les bâtons de marche, j'aurai atteint le col à 4 pattes, ou pire en rampant. Je voulais y arriver et là, plus question d'égo. Les 100 derniers mètres ont ressemblé au 41 derniers km d'un marathon. Interminables. J'en bave comme jamais. Mais cet espace caillouteux entre deux nevés avec le vide derrière sera mon graal. L'arrivée est glaciale : le col doit être une zone  où les vents se rencontrent et allient leurs forces. Impossible de se parler tant ça siffle tout à coup, la cryogénisation est imminente et nous trouvons in extremis refuge à l'abri d'un tas de pierres. Adossée à ce tas, j'admire une dernière fois la splendeur du panorama qui m'a accompagné toute cette matinée, je n'ai même pas pensé à regarder à quoi ressembler le paysage qui servira de décor à la descente. Je suis submergée par les émotions : c'est beau, j'ai froid, je l'ai fait... 4900 m, le col de Khanda, sans assistance (j'ai porté mon sac tout le long), sans vomir, sans penser à renoncer. ...J'ai senti les larmes arriver à une vitesse fulgurante.

Un selfie avec Stanzin qui est transi, une photo près des drapeaux à prières et on se met presque à courir sur l'autre versant de la montagne pour fuir le vent.

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Plus de fatigue, un horizon époustouflant sur la chaîne du Zanskar, juste un sentiment d'euphorie. Je sais que le plus dur est passé,pourtant il reste des km et près de 1500 m de dénivelé ...négatif!

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Nous cavalons presque comme des lapins, Stanzin trace, je le perds de vue. Je sais qu'il ne m'abandonne pas mais j'ai compris que sa veste, bien que chaude, laisse passer le vent. J'ai froid pour lui. Je le retrouve de temps à autre, à l'abri dans des mini-canyons creusés par les ruisseaux éphémères d'été, protégé du zef.

On finit par casser une petite croûte : je  me régale d'un oeuf dur, d'une patate bouillie et d'un sachet de ketchup. J'aurais donné cher pour un second oeuf dur... 

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Le ciel se couvre partiellement, on croise une famille de marmottes... Envolé le souffle court, le mal de tête. Cet après-midi est un vrai bonheur, un shoot d'adrénaline. On atteint notre gîte vers 16h00. Face à un vllage qui semble troglodyte, j'ai la surprise de découvrir une batisse neuve : mirage ou vrai palace??? Tout me paraît  luxueux, la chambre où je pose mes affaires dispose d'un buffet où trône de nombreux objets appartenant à la famille de notre hôte : des photos de la grand mère avec le petit dernier, des peluches, des casseroles... Heureusement, les toilettes sont en tout point semblables aux étapes précédentes, je ne suis pas trop dépaysée !

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Nous venons d'atteindre Shingo, nous sommes à 4000 m d'altitude. nous nous retrouvons dans la pièce à tout, notre hôte a un sourire invariablement accroché à son visage. Après 9H de marche, son accueil et le thé qu'il nous tend sont inestimablement appréciés... IMG_20160505_121428IMG_20160505_141503

 Il prépare le dîner : je vais finir ce voyage embaumée d'ail et d'oignon... au menu ce soir, une autre spécialité de la région:  des timomo.

Apres avoir minutieusement mélangé d MJe la farine, du sel et du bicarbonate de soude, il a étalé la pâte pour en faconner  des languettes et les a entremêlées de manière très artistique, puis les a cuites à la vapeur. Je vais être honnête : ça n'avait aucun goût. Tant de travail pour une telle fadeur, n'ai je pu m'empêcher de penser. Heureusement, l'aspect nutritif ou plutôt bourratif était bien au RDV !

Il n'est pas 20h00 quand je rejoins mon sarcophage. La journée fut longue, difficile. Je ne sais si c'était la perspective de retourner à Leh demain et la promesse d'une bonne douche ou la satisfaction d'être allée au bout de ce trek qui me réjouissait le plus quand Morphee me prit enfin dans ses bras.

 

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Commentaires
K
Merci. Je pense souvent a Marielle, et a votre ascension. La mienne fut sans doute moins rude en raison de l'absence de neige. Je redescends vers Leh très bientôt...., je ne mettrai pas 4 mois pour entamer le récit d'autres découvertes en Inde.
S
Je me régale chaque fois que tu écris un nouveau texte ! Et tes photos sont magnifiques. Ton récit évoque en moi "mon ascension" du toit de l'Europe avec Marielle. Des moments inoubliables !<br /> <br /> J'espère que tout va bien pour toi.<br /> <br /> Sylviane ;-)
rootsetchemins
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