Qu'est-ce que je suis venue faire là ???
Personne n'est venu à notre rencontre, ni les hommes préparant les semis, ni la femme qui bêchait un vaste lopin de terre.
Il était près de midi et aucune pause casse croûte (ou plutôt chapati) ne s'est profilée. Stanzin semble bien connaître les lieux : la maison est immense et relève plus d'un labyrinthe sur plusieurs niveaux que d'une "p'tite baraque". Après deux escaliers en pierre, nous entrons dans un vestibule et là, je sens que je vais en baver. Ni question du Père Fouras, ni épreuve d'immunité : une échelle de meunier pour accéder à l'étage supérieur où nos chambres nous attendent. C'est en la gravissant que j'ai compris pourquoi les éléments qui composent cet instrument de torture à 4200m d'altitude s'appellent des barreaux : tu te prends une peine ferme et incompréhensible, pas moyen d'y échapper!!! Et si hier j'avais trouvé ma chambre spartiate, que dire de celle-ci aujourd'hui? Elle est plutôt misérable mais vu les circonstances, ça me conviendra tout à fait. Une sorte de paillasse posée au sol, une porte qui laisse passer le vent, tout comme la fenêtre, un rideau élimé et quelques lattes de bois me séparent de la chambre de Stanzin :pour le coup, c'est comme si on allait dormir dans la même pièce.
Est-ce bien utile de parler des sanitaires? : plus roots qu'hier. Je n'avais pas imaginé que cela soit possible. Bref, tout cela me paraît assez lugubre. Je préférerais franchement dormir dans la "pièce à tout". Cette petite baisse de moral provient sans doute du manque de sommeil, de l'altitude, du froid.Une bonne sieste de 3H me requinquera. Je regrette cette baisse de régime, j'aurais pu aller voir la femme et lui filer un coup de main. Elle a irrigué toute seule un immense terrain avec une binette préhistorique. En 2 jours et 700 m de dénivelé, j'ai peut-être parcouru deux millénaires...
Nous nous installons dans ma pièce préférée, près du poêle à bouse.
Les hommes sont rentrés et se mettent à cuisiner. Des légumes frais : haricots, poivrons, carottes, oignons, ai, gingembre... Stanzin les découpe en petits morceaux, et le mijjotage peut commencer avec quelques épices et de la purée de tomates.
Tout se passe au ras du sol ici : dormir, manger, boire le thé, cuisiner... Le sol est recouvert de couvertures diverses. Bien sûr, nous n'entrons jamais dans les pièces avec nos chaussures mais l'épaisseur de la poussière est à dater au carbone 14! A tel point que lorsque Stanzin a voulu écraser quelques gousses d'ail avec le plat du couteau en donnant un coup franc sur la planche, un nuage nous a, à tous, obscurci la vue : Allergiques et asthmatiques s'abstenir!
La pièce est confinée, on finit tous par pleurer, et les piments et oignons n'auront pas manqué d'embaumer durablement nos vêtements!!! Au menu : dal (soupe de lentilles), soupe lyophilisée, riz et légumes. Un régal, pourtant je mange très peu: l'altitude me coupe l'appétit. Comme hier, un poste radio à pile trône dans cette salle. A 19h15, nous écoutons religieusement les informations en ladakhi. La femme nous a rejoint : toute la soirée, elle a siroté du thé en mangeant de la tsampa (farine d'orge). Malgré mes tentatives de prendre part à la conversation, via l'interprétariat de Stanzin, elle n'a même pas daigné me regarder.
Quel contraste avec notre étape d'hier! Je ne m'attarde pas et rejoins ma paillasse. La température continue de diminuer : je récupère une énorme couette que j'installerai par dessus mon duvet. Lors du dîner, les hôtes ont raconté qu'un de leurs chiens s'état fait manger par un loup cet hiver. Celui que j'avais vu par la fenêtre de ma chambre, attaché à une corde bien trop courte à mon avis, m'a fait pitié et les quelques fois où il a aboyé cette nuit, je me suis demandée si le loup n'était pas revenu....
Face à l'insomnie due à l'altitude, au mal de crâne qui me vrille le front (et peut-être à la peur du loup!!!,) je me suis surtout efforcée de ne pas me demander d'où m'était vraiment venue cette idée de trek. Ce n'était plus le moment,et encore moins le lieu, sinon je n'aurai pas attendu l'aurore pour faire demi-tour. Même les plus grands avaient dû douter quelques instants dans leur vie ! Alors ce devait être normal... et faire partie du voyage.